1.3. Dans un contexte favorable à sa mise en œuvre, la libéralisation peut constituer un levier conduisant à renforcer l’attractivité et la performance du mode ferroviaire au bénéfice de la mobilité des voyageurs

1.3.1. Les enseignements sur longue période des expériences européennes de libéralisation des services de transport ferroviaire de voyageurs témoignent de l’importance des bénéfices qui peuvent en être retirés mais aussi du temps long dans lequel s’inscrit ce processus

L’expérience européenne montre que la concurrence conduit à une hausse de la demande et de l’offre de services ferroviaires de transport de personnes par divers canaux : prix des billets, innovation, volume d’offre, qualité de service. Si les dynamiques concurrentielles sont hétérogènes d’un pays à un autre, elles demeurent caractérisées par une croissance des marchés, autant en offre qu’en fréquentation, notamment pour les services conventionnés.


L’ouverture à la concurrence du marché de transport de voyageurs en France apparaît tardive par rapport à ses voisins européens. L’Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni se sont engagés dans cette dynamique dès le début des années 1990. L’Italie, quant à elle, a ouvert son marché au début des années 2000. Or, force est de constater que l’émergence d’une concurrence effective demeure un processus lent. Ce phénomène est particulièrement marqué en Suède, où la première licence de service national longue distance en open-access date de 2010, soit presque 20 ans après la libéralisation de ces services.

Calendrier de l’ouverture à la concurrence du trafic de voyageurs
et nombre d’entreprises ferroviaires actives pour le transport de voyageurs (domestique et international) en 2019

1.3.2 Premier enseignement : la libéralisation s’accompagne généralement d’une hausse significative et durable de la demande de transport ferroviaire qui profite à tous les opérateurs

Une étude conduite sur 30 pays de l’OCDE pour la période 1990 à 2013 montre les impacts positifs de la concurrence sur la demande de transport ferroviaire. En Europe, c’est ce que l’on observe notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et en Suède, qui ont vu le nombre des passagers.kilomètres progresser significativement depuis l’ouverture à la concurrence (hors effet récent de la crise sanitaire). Ainsi, selon les données de la Commission européenne entre 2010 et 2019, la fréquentation (en nombre de passagers.kilomètres) a progressé de 29 % au Royaume-Uni, de 31 % en Suède et de 21 % en Allemagne. À titre de comparaison, la France a vu le nombre de ses passagers.kilomètres progresser de seulement 9 % sur la même période :

Évolution du nombre
de passagers.kilomètres
par pays entre 2010 et 2019

Source : Données Rail Market Monitoring (RMMS).

En Italie, qui dispose d’une infrastructure ferroviaire à grande vitesse plus modeste qu’en France ou en Espagne, la demande pour les services à grande vitesse a également connu une augmentation très importante avec l’arrivée d’un nouvel opérateur – NTV – en 2012. Le nombre de passagers.kilomètres a ainsi progressé de 90 % entre fin 2011 et 2016. Cet accroissement fait suite à plusieurs années consécutives de baisse de la fréquentation des services ferroviaires (mesurée en passagers.kilomètres), qui avaient chuté – tous services confondus – de 18 % entre 2005 et 2012. L’émulation provoquée par l’arrivée d’un nouvel opérateur a également profité à l’opérateur historique, Trenitalia, qui a vu le nombre de ses passagers pour les services à grande vitesse progresser de 45 % sur la même période.

Généralement, la croissance de la demande de transport ferroviaire s’accompagne d’un report modal vers le ferroviaire. Le graphique ci-après témoigne du dynamisme du transport ferroviaire dans les trois pays européens ayant ouvert leur marché à la concurrence dès les années 1990. Ainsi, dans ces trois pays, la part modale du ferroviaire a davantage augmenté que la moyenne de l’Union . De même, sur la ligne Rome-Milan, qui est la plus fréquentée d’Italie, les parts modales de l’avion, de la voiture et du train ont été profondément influencées par l’introduction de nouveaux services à grande vitesse. Ainsi, entre 2008 et 2014, la part du rail est passée de 36 % à 65 %, quand celle de l’avion a diminué de moitié (de 50 % à 24 %) et celle des déplacements en voiture ou en bus est passée de 14 % à 11 %. L’arrivée de NTV en 2012 a ainsi eu pour effet d’amplifier une tendance qui s’observait déjà avant l’arrivée de la concurrence.

Évolution de la part modale
du ferroviaire dans
le transport de voyageurs

Source : O. Malay, L.Vankeirsbilck, « Libéralisation du rail : qui va gagner, qui va perdre ? », Discussion Paper 2019-3, Institut de recherches économiques et sociales de l’Université catholique de Louvain.

1.3.3. Deuxième enseignement : l’offre et la qualité des services de transport de voyageurs profitent de la libéralisation

L’ouverture à la concurrence s’est accompagnée, dans les pays étudiés, d’une progression de l’offre de services ferroviaires de transport de voyageurs. Ainsi, pour le Royaume-Uni, la Suède, l’Italie, l’Allemagne, cette progression, mesurée en trains.kilomètres, a été comprise entre 8 % et 18 % entre 2010 et 2019. En revanche, en Belgique et en France, deux pays n’ayant pas ouvert leurs marchés domestiques à la concurrence, l’offre stagne ou diminue.

La progression de l’offre est très nette pour les lignes où plusieurs opérateurs sont en concurrence directe. Ainsi, en 2012, l’arrivée de NTV en Italie a entraîné une augmentation de l’offre de trains à grande vitesse d’environ 45 % par rapport à l’offre existante de Trenitalia sur l’axe principal Turin-Milan-Rome-Naples.

Par ailleurs, l’arrivée de nouveaux entrants conduit à des stratégies de différentiation et à une concurrence sur la qualité de service entre les opérateurs. Par exemple, l’arrivée de NTV en Italie a permis une amélioration des services à bord : l’opérateur propose en première classe des écrans vidéo individuels pour regarder la télévision en direct et des salles de réunion. Il propose également un accès Wi-Fi gratuit dans toutes les classes de voyage, un distributeur automatique de nourriture (ou un service de repas froids pour la classe affaires et la première classe) et un système de sécurité par vidéosurveillance pour sécuriser les espaces bagages. L’opérateur historique Trenitalia a réagi en rénovant et en renouvelant ses matériels roulants pour offrir quatre classes de services. Les deux opérateurs italiens semblent en conséquence se concurrencer non seulement sur le prix des billets, mais aussi sur la qualité des services. Les stratégies concurrentielles mises en place visent la satisfaction du client par les différents niveaux de services et la fréquence.

1.3.4. Troisième enseignement : la libéralisation tend à diminuer les coûts des services de transport ferroviaire mais l’effet sur les tarifs diffère selon les services considérés

a. La concurrence permet aux autorités organisatrices de transports de retrouver des marges de manœuvre pour le financement des transports publics

S’agissant des services conventionnés, les exemples européens tendent à montrer que l’introduction de la concurrence ne conduit pas nécessairement à une baisse des prix des billets payés par les usagers. Par exemple, en Grande-Bretagne et en Allemagne, les prix des billets pour ces services tendent à progresser plus rapidement que l’inflation. Néanmoins, en Grande Bretagne, l’augmentation des prix était plus importante avant la libéralisation : elle fut de 2,2 % par an pendant les 15 années qui ont précédé la libéralisation, contre 1,3 % par an à partir de 1996. De plus, la hausse des prix payés par les usagers peut être synonyme d’une amélioration de la qualité des services offerts, comme c’est le cas dans ces deux pays. Il est également à noter que le prix des billets résultant souvent d’une politique de subventionnement décidée par les autorités publiques, il peut, dès lors, contenir une part d’arbitrage et de choix politiques qui peut varier dans le temps, indépendamment du développement de la concurrence.

En revanche, l’ouverture à la concurrence des transports conventionnés incite les opérateurs à réduire leurs coûts d’exploitation, via notamment les procédures d’appels d’offres. Ces réductions peuvent ensuite bénéficier aux usagers, en fonction des choix retenus par les autorités organisatrices. Ainsi, en Allemagne, l’ouverture à la concurrence et les appels d’offres ont permis de diminuer les coûts d’exploitation de 20 % à 30 % en fonction des contrats. La baisse est même encore plus importante sur les services conventionnés régionaux longue distance. De même, entre le début de la libéralisation et 2015, les coûts d’exploitation par train.kilomètre des entreprises ferroviaires ont également baissé dans une fourchette comprise entre 20 % et 30 % en Suède.

Liée en partie à cette baisse des coûts, la part des concours publics dans les recettes globales des services conventionnés (incluant les services en attribution sans appel d’offres) a diminué en Allemagne et en Italie de manière continue. En revanche, cette part a progressé au Royaume-Uni, où le gouvernement a dû subventionner les entreprises ferroviaires pour la première fois en 2019, quoique à un niveau extrêmement modeste comparé à celui des deux autres pays cités. À titre de comparaison, en France, en Espagne et en Belgique, où les marchés n’avaient pas été libéralisés en 2019, la part des concours publics dans la recette totale augmente. C’est notamment le cas en Espagne, où elle est passée de 44 % à 60 % entre 2011 et 2019. Si elle reste stable en France depuis plusieurs années, cette part se situe à un niveau plus élevé que chez nos voisins.

L’ouverture à la concurrence des services conventionnés peut donc constituer une opportunité pour diminuer les coûts des opérateurs de service public, libérant ainsi des marges de manœuvre financières pour les autorités organisatrices. Celles-ci peuvent ensuite, à service constant, soit diminuer les subventions octroyées aux titulaires des contrats de service public (cas le plus fréquent), soit diminuer les tarifs payés par les usagers.

Évolution des subventions pour le transport ferroviaire de voyageurs
conventionné (en % des recettes totales)

b. La concurrence des services librement organisés peut également conduire à une baisse des prix pour les voyageurs

S’agissant des services librement organisés, les exemples européens montrent que la concurrence sur le marché des services commerciaux peut conduire à une pression importante à la baisse sur les prix payés par les usagers. Ainsi, l’arrivée d’un opérateur alternatif sur le marché italien de la grande vitesse en 2012 a conduit à une baisse du prix des billets de 31 % en moyenne sur le trajet Milan-Rome entre 2011 et 2012 et de 15 % en moyenne pour le service Milan-Ancône. Les tarifs de l’opérateur historique ont eux aussi baissé, bien qu’ils soient restés en moyenne (sur les liaisons principales) entre 30 % à 35 % supérieurs à ceux de NTV. L’entrée de NTV a incité l’opérateur historique Trenitalia à modifier profondément son organisation, ce qui a entraîné une baisse de ses coûts d’exploitation de plus de 30 % entre 2007 et 2016. Le développement de la concurrence n’a pas conduit à un déclin de l’opérateur historique mais a plutôt contribué à l’essor du marché de la grande vitesse. De la même manière, en Suède, l’arrivée du nouvel opérateur MTR Express en 2015 sur la ligne Stockholm-Göteborg a entraîné une baisse des prix de 12,8 % entre 2015 et 2016. En République Tchèque, l’arrivée d’un concurrent en 2011 sur la ligne Prague-Ostrava a fait chuter les prix de 46 % entre 2011 et 2014, tout en améliorant la qualité et la fréquence des services. Cette tendance s’observe également pour les lignes Vienne-Salzbourg (Autriche) et Žilina-Košice (Slovaquie) nouvellement ouvertes à la concurrence.

Finalement, le développement de services librement organisés permet d’exercer une pression à la baisse sur les prix payés par les usagers, sans pour autant conduire au déclin de l’opérateur historique. Une concurrence saine et régulée peut ainsi être un levier de transformation du système ferroviaire aux bénéfices de ses usagers.