3.2. Si les possibilités de transfert de tout ou partie de la gestion de certains segments de l’infrastructure ferroviaire et de certaines gares de voyageurs aux AOT régionales offrent des opportunités pour les AOT, elles font également peser des risques pour la performance globale du système

S’agissant des possibilités de transfert de tout ou partie de la gestion de certains segments de l’infrastructure ferroviaire

Deux dispositifs de transfert des lignes d’intérêt local ou régional à faible trafic au bénéfice des AOT qui en font la demande sont prévus par la loi d’orientation des mobilités et ses textes d’application, à savoir un dispositif de transfert complet de gestion et un dispositif de transfert de certaines missions seulement de gestion de l’infrastructure. Articulées avec le droit européen, ces dispositions permettent de déroger avec plus ou moins d’intensité à certaines règles et obligations relatives à la transparence, à la gouvernance ou à la régulation sectorielle.

Le transfert des petites lignes ferroviaires constitue un sujet majeur pour l’avenir du système ferroviaire français, renvoyant à des enjeux multiples de gouvernance, de financement du réseau et, in fine, de bon fonctionnement du système dans son ensemble.

Il apparaît toutefois que :

  • la définition du périmètre exact des petites lignes concernées par le transfert de gestion ou de missions de gestion manque de précision. Pour les désigner, il est communément fait renvoi aux catégories de voies UIC 7 à 9 (selon la classification établie par SNCF Réseau) qui représentent près de 30 % des voies du réseau ferroviaire ;
  • les obligations des AOT ou des entités auxquelles elles confieraient la responsabilité de gestion de l’infrastructure et des installations de service sont insuffisamment claires et précisées, singulièrement en ce qui concerne la fourniture d’un accès transparent et non discriminatoire à ces infrastructures et installations, alors même que le champ d’application est susceptible de couvrir des lignes desservies par des services librement organisés.

Dans l’ensemble, les AOT se montrent favorables aux dispositifs de transfert de petites lignes et certaines souhaitent concrètement s’engager dès à présent dans la mise en œuvre de ce transfert. Ce souhait se fonde sur une volonté de maîtriser la stratégie de maintien et de développement de lignes d’intérêt local et régional, pour lesquelles les AOT estiment soit que le pilotage opéré par SNCF Réseau est défaillant, soit que la fermeture par SNCF Réseau est contraire aux besoins des mobilités régionales. Elles souhaitent ainsi pouvoir mettre en œuvre une gestion décentralisée des lignes, adaptée aux besoins de transport et fondée sur des référentiels de maintenance innovants pour optimiser les coûts de gestion des lignes.

Toutefois, les bénéfices attendus de la mise en œuvre des dispositifs de transfert de lignes pourraient être limités par les risques de désoptimisation du système. Un certain nombre d’éléments tels que les imprécisions du cadre législatif et réglementaire, l’absence de stratégie concertée entre l’État, SNCF Réseau et les régions quant à la consistance du réseau, les pertes d’économies d’échelle dans la gestion de l’infrastructure et l’expertise importante requise par ces transferts constituent des limites aux éventuels bénéfices à attendre de tels dispositifs, à prendre en considération par les AOT dans le cadre de leur analyse socio-économique préalable à l’établissement d’une demande de transfert de certaines lignes.

Outre ces limites, il convient de souligner les risques que pourraient induire de tels transferts :

  • en premier lieu, ces risques pourraient porter sur le maintien du fret sur ces lignes, si ces transferts visent à privilégier les services de transport ferroviaire de voyageurs et conduisent à modifier l’infrastructure de manière irréversible ;
  • en second lieu, ces risques concernent plus largement le bon fonctionnement du système de transport ferroviaire, si ce dernier devait, à terme, évoluer vers une juxtaposition de petits réseaux ferroviaires, mal interconnectés au réseau ferroviaire principal et générant une duplication des coûts fixes obérant l’équilibre économique d’ensemble.

Pour ces raisons, l’Autorité estime que le transfert de petites lignes devrait être envisagé comme une modalité spécifique de gestion de segments d’intérêt local ou régional du réseau ferroviaire, applicable dans des cas dont la pertinence résulterait d’analyses industrielles et économiques conduites dans le cadre de l’élaboration d’un contrat de performance incitatif entre l’État et SNCF Réseau, conforme aux dispositions de l’article 30 de la directive 2012/34/UE et associant étroitement les AOT régionales.


Elle formule trois recommandations :

  • modifier le cadre législatif et réglementaire pour préciser le périmètre des lignes et des installations de service éligibles, à partir d’un critère de faible trafic, ainsi que les obligations et responsabilités attachées au gestionnaire d’infrastructure et à l’exploitant d’installations de service désignés sur les lignes transférées ;
  • encourager les AOT à intégrer, dans leur analyse socio-économique de la pertinence d’une reprise en gestion de lignes d’intérêt local ou régional à faible trafic, (i) les coûts afférents au respect du cadre régulatoire, même allégé en cas de validité du modèle d’intégration verticale entre l’entreprise ferroviaire et le gestionnaire d’infrastructure, (ii) le respect des exigences en matière de sécurité et d’interopérabilité et (iii) les pertes d’économies d’échelle et d’envergure résultant des transferts ;
  • mettre en place une stratégie concertée entre l’État, SNCF Réseau et les régions, quant à la consistance du réseau, au modèle industriel et économique sous-jacent et à la démarche industrielle et économique à mettre en œuvre pour gérer efficacement ces petites lignes, et ce en cohérence avec le contrat de performance.

S’agissant des possibilités de transfert des gares de voyageurs

La loi pour un nouveau pacte ferroviaire et ses textes d’application permettent à une AOT de fournir, pour le compte du gestionnaire unique des gares, SNCF Gares & Connexions, des prestations de gestion ou d’exploitation de certaines gares utilisées principalement par des services conventionnés de transports. Le champ d’application du dispositif concerne les gares pour lesquelles les services publics de transport ferroviaire de voyageurs relevant d’une même AOT représentent au moins 95 % des arrêts – ce calcul devant être effectué, hormis pour les nouvelles gares, au regard des deux derniers horaires de service – mais exclut les gares d’intérêt national. Ce dispositif concerne ainsi théoriquement près de 2 500 gares de voyageurs d’intérêt régional et d’intérêt local, parmi lesquelles 25 accueillent aujourd’hui des services librement organisés.

Sous réserve de ne s’appliquer qu’à des gares durablement mono-transporteur, le transfert de certaines gares de voyageurs aux AOT peut permettre une gestion des gares adaptée aux spécificités et aux besoins locaux, favoriser une forte intégration dans le service rendu aux usagers de la gare au train et répondre à un objectif d’optimisation des coûts.


Faute d’être limité aux gares durablement mono-transporteur, le dispositif de transfert soulève toutefois des problèmes d’accès transparent et non discriminatoire auxdites gares. Le dispositif de transfert conduit en effet, dès lors qu’il concerne une gare non exclusivement utilisée par une seule entreprise ferroviaire, à recréer un schéma d’intégration verticale de la gestion des gares ferroviaires et de l’exploitation des services ferroviaires, susceptible d’entraver le développement de la concurrence sur le marché aval. Aussi, lorsque les gares concernées par ce dispositif ne sont pas exclusivement mono-transporteur, le prestataire désigné par la région pour fournir des services en gares et exploiter les services de transport conventionnés est susceptible de favoriser lesdits services, desservant majoritairement la gare, au détriment des services de transport ferroviaire librement organisés ou des services de transport ferroviaire conventionnés par une autre AOT. À cet égard, il convient de souligner que l’Autorité s’était vu confirmer l’existence de tels risques au cours des visites qu’elle avait réalisées dans différents pays européens, dans le cadre de la préparation de son étude de 2018 sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en France.

En outre, le dispositif de transfert apparaît particulièrement complexe dans ses modalités contractuelles et en matière de tarification, du fait de la recherche d’un équilibre entre le rôle de gestionnaire unique des gares de SNCF Gares & Connexions et la délégation de la fourniture des prestations de gestion ou d’exploitation de certaines gares à un transporteur-intégrateur désigné par l’AOT. Compte tenu de la multiplication des acteurs et intermédiaires impliqués dans la réalisation de prestations relevant auparavant d’un seul et unique gestionnaire de gares, l’Autorité considère qu’il existe des risques de perte d’efficacité, de renchérissement des coûts des prestations en gare pour les opérateurs finaux, et de dilution des responsabilités, sans exclure les risques de contentieux entre les parties.

SCHÉMATISATION DE LA GESTION DES GARES DE VOYAGEURS DANS LE CADRE DE LA MISE EN ŒUVRE DU DISPOSITIF DE TRANSFERT

Il convient, enfin, de mentionner que certaines AOT régionales expriment d’ores et déjà des réserves à la mise en œuvre de ce dispositif de transfert, en raison de sa complexité et du manque de marges de manœuvre dont elles bénéficieraient dans le cadre de la convention à conclure avec le gestionnaire des gares. Elles anticipent notamment des difficultés à conclure une convention avec le gestionnaire de gares répondant à leur demande étendue de délégation des prestations de gestion ou d’exploitation des gares.

Dans ces conditions, afin de faire du transfert de certaines gares de voyageurs un levier d’amélioration de la qualité du service rendu aux usagers sans entraver l’accès équitable, transparent et non discriminatoire à ces gares, l’Autorité recommande de :

  • limiter le transfert de certaines gares de voyageurs aux seules gares durablement « mono-transporteur » afin d’éviter les risques anti-concurrentiels d’accès à ces gares et de recentrer ce dispositif sur sa zone de pertinence en vue de l’amélioration des services rendus aux usagers ;
  • définir clairement les responsabilités de chacune des parties (SNCF Gares & Connexions, AOT, transporteur-intégrateur) au sein du dispositif conventionnel et simplifier les modalités de tarification des prestations en gare fournies par l’opérateur de transport attributaire du contrat de service public, sur la base desquelles sont établis les tarifs du document de référence des gares, pour laisser jouer le mécanisme de concurrence pour le marché mis en œuvre par les AOT.