Synthèse exécutive
En France, l’ouverture à la concurrence des services domestiques de transport ferroviaire de voyageurs mise en place par la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire marque l’achèvement du processus de libéralisation de ces services, une trentaine d’années après certains pays européens tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suède.
- Les retours d’expérience des pays européens s’étant inscrits, de longue date, dans un processus de libéralisation montre que l’ouverture à la concurrence constitue un levier majeur de développement et de dynamisation du transport ferroviaire de voyageurs.
Ainsi, dans les pays où elle a été mise en œuvre, l’ouverture à la concurrence conduit généralement à une croissance de l’offre de transport ferroviaire relativement plus importante que dans les pays qui n’ont pas libéralisé leurs marchés. Celle-ci s’accompagne généralement d’un accroissement de la ponctualité et de la fréquence des dessertes ainsi que d’une amélioration des services à bord des trains, de l’accueil et des services en gare.
Ce développement de l’offre est systématiquement accompagné d’une hausse significative et durable de la demande de transport ferroviaire par les voyageurs qui profite à tous les opérateurs, y compris l’opérateur historique. En effet, l’arrivée de nouveaux opérateurs, notamment dans le cas des services librement organisés (SLO), conduit, en pratique, davantage à un accroissement du marché dans son ensemble qu’au seul « écrémage » des services les plus rentables.
Enfin, la concurrence a un effet positif sur les prix payés par les usagers ou les concours publics versés par les autorités organisatrices : d’une part, elle tend, dans le cas des SLO, à exercer une pression à la baisse sur les prix payés par les usagers ; d’autre part, elle incite les opérateurs, dans le cas des services conventionnés, à réduire leurs coûts d’exploitation et conduit ainsi à une diminution des montants des financements publics afférents, à niveau constant d’offre.
- Les retours d’expérience des pays européens s’étant inscrits, de longue date, dans un processus de libéralisation montre que l’ouverture à la concurrence constitue un levier majeur de développement et de dynamisation du transport ferroviaire de voyageurs.
Le système ferroviaire français présente plusieurs facteurs d’attractivité dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire de voyageurs. Il s’appuie tout d’abord sur le deuxième réseau ferroviaire le plus important d’Europe, avec 28 100 kilomètres de lignes, derrière l’Allemagne. De plus, avec 2 600 kilomètres de lignes, le réseau à grande vitesse français est le deuxième européen, derrière celui de l’Espagne. Enfin, sa position relativement centrale en Europe et son maillage géographique constituent, pour le réseau ferroviaire français, des atouts pour l’exploitation de services de transport de voyageurs.
Le nombre d’intentions déclarées d’entrée de nouveaux opérateurs témoigne à lui seul de l’important potentiel d’attractivité et de développement du transport ferroviaire de voyageurs en France, identifié tant par les nouveaux entrants que par l’opérateur historique. Entre le 4 juin 2019 et le 23 juin 2021, 5 opérateurs ferroviaires différents ont notifié auprès de l’Autorité leur intention d’opérer 38 nouveaux SLO. Seuls 3 de ces 38 nouveaux services correspondent à des services opérés sur lignes à grande vitesse (LGV), les 35 autres services notifiés correspondant à des services opérés sur lignes classiques, de jour ou de nuit.
De même, un nombre significatif de nouveaux opérateurs ont montré leur intérêt pour répondre aux appels d’offres organisés par les autorités organisatrices de transports (AOT), en ce qui concerne le processus d’attribution concurrentielle de lots de services conventionnés.
- Alors que l’accès aux infrastructures essentielles constitue le socle principal et incontournable de toute fourniture de services de transport ferroviaire, les efforts doivent être poursuivis et amplifiés pour assurer le terrain de jeu concurrentiel le plus équitable et le plus propice à une ouverture à la concurrence réussie.
Ces efforts concernent les conditions tarifaires et opérationnelles d’accès aux infrastructures essentielles du système ferroviaire, ainsi que la gouvernance de leur gestion.
S’agissant, en premier lieu, des conditions tarifaires d’accès, le niveau relativement élevé et la structure perfectible des redevances d’accès à l’infrastructure ferroviaire constituent des freins à l’attractivité du système ferroviaire français et au développement des services de transport ferroviaire de voyageurs à hauteur du potentiel de marché pour ce mode.
Le niveau des redevances d’accès à l’infrastructure ferroviaire dépend principalement de choix politiques relatifs à la répartition des sources de financement du réseau entre subventionnements publics et redevances payées par les opérateurs. À cet égard, la France a fait le choix de faire reposer le coût complet de gestion de l’infrastructure à titre principal sur les redevances d’accès, alors que d’autres pays européens, comme la Suède, ont fait le choix d’un financement public des coûts fixes associés au réseau, plus favorable au développement de l’offre.
Dans ces conditions, la poursuite de l’évolution de la structure tarifaire apparaît prioritaire pour faire reposer le niveau élevé des majorations visant à couvrir les coûts fixes du réseau sur les segments de marché présentant la plus grande capacité contributive et, partant, limiter le plus possible les conséquences défavorables de ce choix de financement du réseau.
Par ailleurs, si de nombreuses évolutions ont été mises en œuvre par les exploitants d’installations de service (EIS) depuis 2016, sous l’impulsion de l’Autorité, les signaux économiques émis par la tarification de l’accès aux installations de service et des prestations qui y sont fournies doivent encore être améliorés afin d’en permettre un usage effectif et optimal, adapté aux besoins du marché des services de transport ferroviaire qui s’ouvre à la concurrence.
En particulier, le modèle économique de la tarification de l’accès aux gares de voyageurs doit fournir des signaux plus incitatifs pour un usage optimisé des gares, au bénéfice des opérateurs comme du gestionnaire des gares. De même, la tarification de l’accès aux installations d’entretien des matériels roulants exploitées par SNCF Voyageurs doit encore progresser afin d’offrir des menus tarifaires lisibles et adaptés aux différents besoins des opérateurs, du libre choix d’opérations élémentaires à la fourniture d’une offre forfaitaire tout compris.
En deuxième lieu, les bénéfices attendus de l’ouverture à la concurrence ne pourront se matérialiser que si des conditions opérationnelles transparentes, équitables, non discriminatoires et efficaces d’accès et d’utilisation du réseau et des installations de service sont garanties aux nouveaux entrants, ce qui suppose la levée d’un certain nombre de barrières techniques à l’entrée. Il apparaît notamment indispensable que SNCF Réseau mette en œuvre ou amplifie un certain nombre d’améliorations s’agissant de l’accès et de l’utilisation du réseau. En particulier :
- le processus de structuration et d’attribution de la capacité doit évoluer vers une approche plus normative des besoins de circulations des opérateurs pour favoriser une utilisation optimale de la capacité et, concrètement, offrir plus de sillons aux opérateurs ;
- le processus de gestion opérationnelle des circulations (GOC) nécessite d’être modernisé tant du point de vue de son organisation industrielle (notamment la finalisation nécessaire du déploiement des 16 commandes centralisées du réseau en remplacement des 2 200 postes d’aiguillage, dont certains datent de la fin des années 1930) que du point de vue des processus (notamment la modernisation et la simplification souhaitable des systèmes d’information), afin d’accroître l’efficacité du système ferroviaire ;
- le déploiement du système de signalisation européen, l’ERTMS, doit être poursuivi, en particulier sur les LGV, afin d’accroître l’interopérabilité et l’intensité potentielle de l’utilisation du réseau ferroviaire au bénéfice des opérateurs, des usagers et du gestionnaire d’infrastructure, qui sera ainsi en mesure de développer ses recettes.
La capacité de SNCF Réseau à mettre en œuvre ces améliorations à moyen terme n’apparaît toutefois pas garantie, au regard des trajectoires financières prévues par le projet de contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau pour la période 2021-2030.
En troisième lieu, la gouvernance relative à la gestion de l’infrastructure et des gares de voyageurs demeure perfectible, tant en ce qui concerne le niveau d’indépendance des gestionnaires que la définition du cadre stratégique dans lequel s’insère leur action.
Si la loi pour un nouveau pacte ferroviaire et ses ordonnances d’application (i) ont bien transposé les dispositions des textes européens relatives aux mesures de sauvegarde de l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure dans l’exercice des fonctions essentielles et (ii) institué SNCF Gares & Connexions comme gestionnaire unique des gares, rattaché à SNCF Réseau, il apparaît que, dans les faits, la situation reste perfectible.
Ainsi, les analyses conduites par l’Autorité montrent que SNCF Réseau ne dispose pas des moyens financiers et de gouvernance propres à garantir la bonne réalisation, en toute indépendance, de ses missions. De même, si des transferts de personnels de SNCF Voyageurs vers SNCF Gares & Connexions sont en cours de mise en œuvre dans les grandes gares susceptibles d’accueillir différents types de services et opérateurs, il importe au moins tout autant que le gestionnaire unique des gares dispose d’une indépendance suffisante pour assurer son rôle dans les gares fonctionnant selon le modèle du « transporteur-intégrateur » (soit plus de 95 % des gares). Dans ces gares, où la question des transferts d’effectifs n’est pas économiquement pertinente, SNCF Gares & Connexions doit avoir la capacité d’assurer que les différents services transversaux sont fournis de manière transparente, équitable et non discriminatoire par l’opérateur dominant, le cas échéant, aux autres entreprises, au bénéfice de la cohérence du système ferroviaire et de ses usagers.
Enfin, un soin particulier doit être apporté par l’État à la définition du cadre stratégique dans lequel s’inscrit l’action des deux gestionnaires d’infrastructures essentielles du système ferroviaire. Or, les contrats de performance successifs entre l’État et SNCF Réseau ne sont pas suffisamment précis et ambitieux en termes d’objectifs pour la consistance du réseau ferroviaire, de plan d’action industriel et organisationnel, de financements et d’incitations à la performance pour permettre au gestionnaire d’infrastructure de gérer de manière pérenne et efficiente le réseau ferré national en toute indépendance et autonomie. De même, le contrat pluriannuel prévu entre le gestionnaire unique des gares et l’État doit, d’une part, lui permettre de renforcer les moyens dont il dispose pour réaliser effectivement et efficacement sa mission et assurer l’entretien de son patrimoine, d’autre part, constituer un vecteur d’amélioration de sa performance.
- Dans un calendrier d’ouverture à la concurrence des services conventionnés qui se resserre, les AOT doivent poursuivre leur montée en puissance et leur préparation pour procéder à l’attribution concurrentielle des lots et assurer le pilotage de conventions susceptibles d’être exploitées par des opérateurs différents.
À compter du 25 décembre 2023, toute nouvelle attribution à un opérateur de l’exploitation d’un service conventionné de transport ferroviaire de voyageurs devra impérativement faire l’objet d’un processus de mise en concurrence pour le marché, à quelques exceptions près, dont la mise en œuvre est très encadrée et ne pourra être que marginale. À ce stade, le rythme et l’engagement dans le processus de mise en concurrence diffèrent d’une région à l’autre.
Alors que la réussite de l’ouverture à la concurrence pour le marché repose, en premier lieu, sur un accès aux données pertinentes pour les régions, celles-ci rencontrent encore des difficultés à obtenir la communication des données relatives à l’exploitation des services conventionnés que doit fournir l’opérateur historique, comme l’Autorité a notamment pu le constater dans le cadre de l’instruction des deux demandes de règlement de différend dont elle a d’ores et déjà été saisie.
Au-delà, l’attribution concurrentielle de lots de services conventionnés par les AOT nécessite le développement d’une expertise accrue au sein des équipes chargées du pilotage des appels d’offre et de l’exécution des contrats correspondant aux différents lots attribués. De ce point de vue, les expériences européennes de libéralisation des services conventionnés peuvent offrir des enseignements utiles, notamment en ce qui concerne (i) la nécessité de mettre en place des structures dédiées et des équipes de spécialistes du système ferroviaire plus importantes qu’elles ne le sont aujourd’hui dans les services des régions et (ii) l’intérêt de mutualiser certains moyens et compétences entre AOT afin, par exemple, de mettre en place des entités en charge de l’acquisition et de la gestion transverse des flottes de matériels roulants.
- Si l’ouverture à la concurrence des services librement organisés (SLO) suscite un intérêt important, un certain nombre de freins doivent encore être levés afin de permettre aux opérateurs de répondre au mieux au potentiel du marché qu’ils identifient.
L’entrée sur le marché des SLO se heurte à des barrières à l’entrée techniques et financières, qui s’avèrent encore plus fortes dans le cas des services à grande vitesse, notamment :
- les montants à acquitter, avant même le démarrage des services, pour financer l’achat des rames, en l’absence d’un marché d’occasion et/ou d’un marché de la location/gestion de flotte des matériels roulants ;
- le coût initial associé aux difficultés techniques que peut présenter l’implantation d’installations de maintenance du matériel roulant, qui souligne toute l’importance d’une offre régulée de maintenance de matériels roulants proposée par SNCF Voyageurs suffisamment adaptée aux besoins des opérateurs ferroviaires ;
- le manque de visibilité offerte aux opérateurs par le processus de répartition de capacités de SNCF Réseau, qui appelle à une nécessaire modernisation de l’outil industriel et des processus du gestionnaire d’infrastructure.
Le déploiement incomplet du système de signalisation européen, l’ERTMS, sur les LGV françaises constitue une barrière technique complémentaire à l’entrée sur les services à grande vitesse, alors que les deux principaux nouveaux entrants à ce stade sont les opérateurs historiques italien (Trenitalia) – qui vient de lancer ses services à grande vitesse le 18 décembre 2020 – et espagnol (Renfe), qui prépare son entrée. Les entreprises souhaitant opérer des services internationaux à grande vitesse doivent en effet veiller à ce que leurs rames soient équipées de systèmes de contrôle-commande compatibles avec les différents systèmes nationaux de signalisation déployés sur les lignes sur lesquelles elles envisagent de circuler. Or la circulation de rames aptes à la grande vitesse, sur les LGV françaises non équipées de l’ERTMS, pour opérer de tels services, soulève d’importantes difficultés techniques, en l’absence de développement, au niveau national, des dispositifs recommandés par les règles européennes en la matière et de transparence sur les informations nécessaires au paramétrage de ces équipements.
- Afin de créer les conditions d’une ouverture à la concurrence réussie des services ferroviaires de voyageurs, l’Autorité formule 39 recommandations, dont certaines, regroupées autour de 12 « recommandations générales », lui paraissent incontournables à court terme (CT) ou à moyen terme (MT).