2.3. La gouvernance des infrastructures essentielles apparaît perfectible s’agissant des conditions de l’indépendance des gestionnaires de l’infrastructure ferroviaire et des gares et en l’absence de cadre stratégique clair pour la performance du système ferroviaire

2.3.1. Afin d’assurer une utilisation optimale du réseau dans un contexte d’ouverture à la concurrence, le gestionnaire d’infrastructure doit être doté des moyens financiers
et de gouvernance, propres à garantir la bonne réalisation, en toute indépendance, de ses missions et être incité, par un contrat de performance ambitieux et crédible ou tout autre dispositif approprié, à atteindre des objectifs de performance

L’indépendance de SNCF Réseau

Si l’indépendance du gestionnaire de l’infrastructure n’est pas une fin en soi, elle est le moyen privilégié de garantir un accès transparent, équitable et non discriminatoire pour tous les opérateurs de service utilisant cette infrastructure, qui constitue un enjeu central dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des services de toute industrie de réseau utilisant une infrastructure en monopole naturel.

Or les analyses conduites par l’Autorité montrent que SNCF Réseau ne dispose pas des moyens financiers et de gouvernance propres à garantir la bonne réalisation, en toute indépendance, de ses missions (cf. fiche thématique 2.3.1) :

  • le fonctionnement et les règles de gouvernance
    actuelles de SNCF Réseau ne garantissent qu’imparfaitement l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure et ne permettent pas d’atteindre complètement les objectifs définis par la directive 2012/34/UE modifiée ;
  • les garanties matérielles et les mesures d’organisation
    internes de SNCF Réseau destinées à éviter qu’une entité du groupe SNCF exerce une influence sur les décisions prises en ce qui concerne les fonctions essentielles apparaissent insuffisantes ;
  • l’indépendance organisationnelle et décisionnelle
    de SNCF Réseau dans l’exercice de ses fonctions de gestionnaire d’infrastructure n’est qu’imparfaite, notamment au regard de l’exercice de fonctions mutualisées par la holding SNCF (expertise juridique, systèmes d’information, coordination de la gestion des actifs, etc.) et du manque d’autonomie financière du gestionnaire d’infrastructure.

Afin d’améliorer l’indépendance de SNCF Réseau et à défaut d’ériger SNCF Réseau en entité séparée du groupe SNCF, l’Autorité formule plusieurs recommandations, visant à garantir clairement la séparation des activités de gestion de l’infrastructure, d’un côté, et d’exploitation des services de transport ferroviaire, de l’autre, et à prévenir toute forme d’interférence directe ou indirecte d’une entité sur une autre :

  • renforcer l’indépendance organisationnelle et décisionnelle du gestionnaire d’infrastructure en étendant le périmètre des « fonctions essentielles » à la gestion opérationnelle et la planification de l’entretien du réseau ferroviaire, d’une part, et à la définition de la politique d’investissement, d’autre part ;
  • réduire le périmètre des fonctions mutualisées de la société nationale SNCF afin de garantir l’effectivité de l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure, en particulier dans les domaines financier, juridique ou des systèmes d’information, dans la mesure où ces fonctions transverses sont indissociables de l’exercice des fonctions essentielles ;
  • revoir le fonctionnement du conseil d’administration de SNCF Réseau en étendant notamment le périmètre des interdictions (article L. 2122‑4‑1‑1 du code des transports) ou des incompatibilités (article L. 2111‑16‑1), afin de garantir plus efficacement l’absence d’influence d’une autre entité du groupe SNCF sur les décisions prises par le gestionnaire d’infrastructure en matière de fonctions essentielles ;
  • procéder à la publication, chaque année, d’un rapport de l’Autorité portant sur le respect, par le gestionnaire d’infrastructure, de son code de bonne conduite ainsi que sur une évaluation de l’indépendance de SNCF Réseau, en proposant, le cas échéant, les mesures propres à renforcer cette indépendance. L’Autorité est en effet chargée de s’assurer que l’accès au réseau ferroviaire est accordé de manière équitable et non discriminatoire et de veiller au respect du code de bonne conduite de SNCF Réseau ; elle sera ainsi parfaitement dans son rôle en publiant un tel rapport, après avoir procédé aux investigations nécessaires.

La fixation des objectifs de performance pour la gestion de l’infrastructure ferroviaire

L’actualisation du contrat de performance, conclu entre l’État et SNCF Réseau, a pris un retard important.

Or, il est essentiel que cette actualisation comporte des objectifs, s’agissant de la performance et de la consistance attendues du réseau, à la fois suffisamment ambitieux, précis et clairs, et cohérents avec les moyens et ressources mobilisables sur la durée du contrat, afin de garantir, dans le contexte particulier d’ouverture à la concurrence, un pilotage efficace de la performance économique et industrielle du gestionnaire d’infrastructure. Le cas contraire, les capacités offertes sur l’infrastructure ferroviaire s’en trouveraient limitées et les possibilités de développement des services de transport ferroviaire obérées, au détriment de la mobilité.


Dès lors que cet objectif participe pleinement de la politique de mobilité et de l’ouverture du réseau ferroviaire, l’Autorité estime indispensable que le contrat de performance entre l’État et SNCF Réseau soit construit avec un contenu :

  • définissant clairement et précisément les objectifs de consistance et de performance du réseau à atteindre ;
  • traduisant ces objectifs dans les trajectoires financières et assurant une articulation claire entre eux ;
  • prévoyant la mise en place de mécanismes correctifs et la révision des trajectoires financières en dehors des actualisations ;
  • revoyant les modalités de suivi et d’évaluation de la performance sur la base d’indicateurs simples, intelligibles et rendus publics pour l’ensemble des usagers du réseau (atteinte des objectifs, évolutions et comparaisons régionales) ;
  • renforçant les incitations à la performance et à la réduction des coûts ainsi que des redevances d’accès, tout en préservant la qualité et la sécurité de l’offre d’infrastructure.

À défaut d’un tel contenu ou en présence d’un contenu trop partiel, dans le contrat, sur les aspects mentionnés ci-avant, d’autres mesures d’incitation à la performance du gestionnaire d’infrastructure pourraient être mises en place, par exemple via l’introduction de dispositions réglementaires spécifiques sur le sujet, au bénéfice des utilisateurs du système ferroviaire.

2.3.2. Le gestionnaire des gares doit être doté de tous les moyens humains, techniques, financiers et de pilotage pour réaliser effectivement et efficacement ses missions
et se voir assigner des objectifs stratégiques à court et moyen termes fixés notamment dans le cadre du contrat pluriannuel conclu avec l’État

L’indépendance du gestionnaire unique des gares constitue un des fondements du bon fonctionnement de la concurrence sur le marché aval, et partant, une des conditions de la réussite de la libéralisation des services de transport ferroviaire de voyageurs.

Or, le rattachement de SNCF Gares & Connexions à SNCF Réseau et le principe d’indépendance organisationnelle et décisionnelle de tout exploitant d’installation de service, a fortiori du gestionnaire des gares de voyageurs, vis-à-vis des entreprises ferroviaires, fixé en droit européen et national, trouvent leurs limites dans la structure verticalement intégrée du groupe public unifié et dans la dépendance opérationnelle du gestionnaire des gares vis-à-vis de SNCF Voyageurs.

En premier lieu, SNCF Réseau, à laquelle est rattaché le gestionnaire des gares, doit être elle-même indépendante pour que soit garantie l’indépendance de sa filiale. De ce point de vue, le rattachement de SNCF Réseau à la société nationale SNCF, holding du groupe public unifié intéressée au résultat de la principale entreprise ferroviaire du groupe, SNCF Voyageurs, introduit un lien indirect avec un opérateur ferroviaire dans le cadre de cette structure verticalement intégrée, qui peut altérer ou paraître altérer l’indépendance et l’exercice des missions des acteurs chargés de la gestion de facilités essentielles, dont le gestionnaire des gares, SNCF Gares & Connexions, ainsi que le droit d’accès au réseau ferroviaire et à ses installations de service dans des conditions transparentes et non discriminatoires.

En second lieu, il apparaît que, pour l’accomplissement de ses missions, SNCF Gares & Connexions reste très dépendante de l’entreprise ferroviaire historique, SNCF Voyageurs, en particulier dans les gares où cette dernière agit en tant que transporteur-intégrateur (plus de 95 % des gares).

Sans remettre en cause le modèle du transporteur-intégrateur, qui permet de réaliser des synergies et des économies d’envergure entre les services ferroviaires et les services en gare, dans le cas des gares de petite et de moyenne tailles, les conditions dans lesquelles SNCF Gares & Connexions assure son rôle de gestionnaire unique des gares dans celles où le modèle de transporteur-intégrateur est en place posent question.


Ces interrogations portent tout particulièrement sur :

  • d’une part, les conditions contractuelles qui régissent les relations entre SNCF Gare & Connexions et SNCF Voyageurs, aujourd’hui fondées sur des contrats de coopération public-public (conçus pour des relations de coopération horizontale et non des relations de prescripteur à fournisseur verticales) ;
  • d’autre part, le niveau de contrôle qu’exerce réellement SNCF Gares & Connexions, quant à la consistance et aux conditions de refacturation des prestations réalisées par SNCF Voyageurs dans ces gares, qui sont ensuite facturées aux opérateurs ferroviaires à travers les redevances d’utilisation des gares de voyageurs publiées dans le document de référence des gares et qui représentent environ un tiers du montant total de ces redevances.

Sur ce sujet, l’Autorité, dans son avis n° 2021‑048 du 23 septembre 2021 relatif aux redevances des prestations régulées fournies dans les gares de voyageur pour l’horaire de service 2021, rappelait « qu’en raison des enjeux concurrentiels y afférents, le législateur a confié à la société SNCF Gares & Connexions une mission de gestion unifiée – et séparée – des gares de voyageurs. Il en résulte que toute mission en gare doit être effectuée directement par cette dernière ou par un tiers, mais pour son compte ainsi que sous son contrôle et sa responsabilité. L’Autorité demande donc à SNCF Gares & Connexions d’étendre et améliorer sa démarche d’audit, et, plus largement, de mettre en place un environnement de contrôle effectif des situations dans lesquelles des prestations sont fournies en gare par SNCF Voyageurs ».

En tout état de cause, la délégation des missions du gestionnaire des gares à un transporteur génère des risques concurrentiels qui doivent être gérés, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des services domestiques de transport ferroviaire de voyageurs. Indépendamment de ses conséquences sur l’efficacité et l’impartialité de l’accès à des installations stratégiques pour l’exploitation d’un service de transport ferroviaire, l’organisation actuelle de la gestion des gares par SNCF Gares & Connexions renforce l’image d’un secteur opaque qui ne peut qu’affaiblir son attractivité auprès de potentiels candidats à l’entrée s’intéressant aujourd’hui au marché français mais qui s’interrogent sur leur capacité à tirer parti des opportunités qu’il est susceptible d’offrir.

Aussi, ces risques doivent être mesurés et des dispositions doivent être prises pour en assurer la maîtrise afin que cette délégation de missions ne vienne pas obérer la capacité du gestionnaire des gares à garantir à tout nouvel entrant (qu’il opère des services librement organisés ou des services conventionnés) un accès non discriminatoire et équitable aux gares et services qui y sont rendus, conformément aux dispositions de la directive 2012/34/UE modifiée.


L’Autorité considère que le contrat pluriannuel prévu entre SNCF Gares & Connexions et l’État pourrait constituer l’un des moyens de garantir l’indépendance du gestionnaire des gares. Ce contrat doit, d’une part, lui permettre de renforcer les moyens dont il dispose pour réaliser effectivement et efficacement sa mission et, d’autre part, constituer un vecteur d’amélioration de sa performance. L’Autorité formule ainsi plusieurs recommandations dans le cadre de l’élaboration de ce contrat :

  • en premier lieu, elle recommande que l’État définisse,
    sur la base d’un état des lieux objectif, la vision stratégique à court et moyen terme s’agissant de l’évolution des gares et de la politique d’investissement associée ;
  • en deuxième lieu, elle estime indispensable que le contrat pluriannuel fixe un socle minimal d’objectifs stratégiques et de règles s’appliquant à la gestion des gares sur l’ensemble du territoire national ;
  • en troisième lieu, elle considère que doit être assurée la cohérence entre, d’un côté, le contrat pluriannuel conclu entre l’État et SNCF Gares & Connexions et, de l’autre, le document de référence des gares (DRG) et le contrat de performance conclu entre l’État et SNCF Réseau ;
  • en quatrième et dernier lieu, l’Autorité recommande que ce contrat pluriannuel entre l’État et le gestionnaire des gares soit élaboré en lien étroit avec les AOT, compte tenu du rôle désormais essentiel qu’elles assurent dans le financement des gares et la déclinaison des services au niveau local.

En conclusion, l’Autorité estime important que le gestionnaire des gares, notamment dans le cadre de son contrat pluriannuel avec l’État :

  • soit doté de tous les moyens humains, techniques, financiers et de pilotage pour réaliser directement ou piloter la réalisation de ses missions de manière effective et efficace et dans le respect du principe d’indépendance organisationnelle et décisionnelle vis-à-vis des entreprises ferroviaires fixé en droit européen et national ;
  • dispose d’une vision et d’objectifs stratégiques à court et moyen termes.